Je m'y essaie toutefois car je trouve important de parler de certains aspects. Le texte ci-dessous est donc un énorme spoiler, que je vous invite à ne pas lire si vous avez envie de voir le film sans vous ruiner tous les effets de suspense.
Pour les autres, prenez un café, ça va être un peu long...
Le pitch de ce thriller Fincherien, laissait déjà entendre que les apparences sont trompeuses : Nick, Amy, lequel des deux abuse l'autre ?
Le film commence donc comme un bon thriller : un homme, qui semble un peu rustaud, pas très fin et boit de l'alcool au petit déjeuner, découvre la disparition de sa femme un beau matin, laissant derrière elle tous les signes d'une lutte.
Que diable s'est-il passé ? Est-ce une mise en scène ? Très clairement oui. Mais de la part de qui ? L'homme a-t-il maquillé le meurtre de sa femme en enlèvement, la femme a-t-elle déguisé sa fuite pour brouiller les pistes d'un homme que l'on devine violent, ou bien s'agit-il d'autre chose ?
Enquête à charge vs benêt maladroit
La première partie du film, centrée sur un Ben Affleck vraiment investi dans son personnage, est menée selon le point de vue de l'enquête de police : à charge. Chaque élément découvert semble accuser un peu plus le héros, qui aggrave son cas à chaque fois qu'il ouvre la bouche ou se présente en public. On finit par voir en lui un pauvre benêt qui accumule les gaffes.
On sent néanmoins que quelque chose cloche. Il y a cette inspectrice de police dont le flair lui dicte que c'est too much. Et surtout il y a la soeur de Nick qui lui voue un soutien sans faille et semble avoir une toute autre vision d'Amy que le reste du monde.
Pourquoi tout le monde voit-il Amy comme une sainte, sauf Nick et sa soeur ?
Alors on s'interroge. Comment cet homme, avec le soutien que lui apporte sa soeur, a-t-il pu faire ça ? Et bien c'est simple, il n'a pas pu "faire ça" car tout est faux et que sa femme cette garce a tout inventé, on ne sait d'ailleurs pas trop pourquoi (pour se venger de son infidélité dira-t-elle).
Ce discours déjà, semble familier.
Cet homme que l'on accuse. Le voisin, l'ami, le parent irréprochable... Non c'est pas possible. Il a ses défauts mais il n'irait pas jusque là. Non pas lui, non il y a forcément une autre explication...
Sauf que cette autre explication, dans la vraie vie, elle n'existe quasiment jamais.
L'homme violent, l'est. Il n'est victime de rien ni personne, il est violent et la victime, c'est sa femme. Point. Mais c'est tellement difficile à avaler, ça remet tellement en question tout un système (oui, les violences conjugales sont systémiques) qu'on se dit qu'il y a forcément une autre explication. Et Gone Girl, avec toute l'arrogance d'un réalisateur qui croit jeter un pavé dans la marre, justifie tous les discours sexistes que l'on sert aux victimes de violences depuis la nuit des temps...
Tu parles d'une révolution.
L'autre version, matérialisation d'un mirage...
Bref, après une première partie à charge, le film s'attache à rétablir la vérité dans la deuxième partie. Coup de théâtre : Monsieur est innocent, c'est Madame qui a tout inventé. La victime n'est pas celle qui le prétendait mais l'assassin présumé.
Alors, au niveau des points positifs, il faut reconnaitre que c'est assez libérateur de voir pour une fois un personnage féminin qui ne soit pas une victime et qui prend son destin en main. Un personnage principal féminin construit et puissant, qui influe sur l'intrigue du film. Oui ça fait du bien mais cet éclair de satisfaction est de bien courte durée.
Car le message que le film envoie, c'est qu'il existe une "autre version", c'est que les versions des faits racontés par les hommes violents sont vraies, que parfois les femmes piègent les hommes par pure malveillance, comme ça, pour le fun, parce que bon, elles sont un peu hystériques hein, les bonnes femmes. Que quand on dit "elle est tombée dans l'escalier" c'est qu'elle est tombée dans l'escalier. Fuck ces esprits mal tournés qui voient le mal partout.
Ce film, qui semble mettre un coup de pied dans la fourmilière du polar, ne fait que reprendre les poncifs les plus éculés et de leur donner un petit coups de jeune visuel pour se donner un air révolutionnaire.
L'homme franc, honnête, gentil et donc un peu benêt, victimisé par une femme vénéneuse (ce terme vous parle, vous l'avez déjà entendu n'est-ce pas... la femme vénéneuse, vieux marronnier des films noirs et autres thrillers depuis les années 30), c'est juste l'un des thèmes majeurs du cinéma, de Sueurs Froides à Basic Instinct, Liaison Fatale ou Misery...
Alors qu'on s'entende bien, le problème n'est pas de montrer un personnage féminin malfaisant ! Hommes ou femmes, personne n'est angélique bien longtemps et en termes de cinéma, c'est tant mieux.
Le problème de Gone Girl, et le gros malaise qu'il suscite, vient du fait qu'il traite explicitement des violences conjugales, thème qu'il déforme pour en donner une version qui méprise assez clairement la réalité.
Pire, le moment où Amy est prise à son propre piège et séquestrée par son ex, victime d'un viol qu'elle a elle-même provoqué, est la pure et simple illustration des discours les plus gerbants à base de "elle l'a cherché" "elle le voulait bien" "elle était consentante" et qui là aussi minimisent la réalité.
Les femmes qui inventent des accusations de viol, il y en a, oui. Tout comme il y a des gens qui inventent des accusations d'autre chose... Or on n'entend jamais personne au sujet du risque de fausse accusation "d'autre chose"... A ce sujet, lire cet article très documenté du Blog Crêpe Georgette (vous pouvez lire tout le blog tant que vous y êtes) sur les fausses accusations de viol, qui sont rares à l'extrême.
Les rôles féminins au cinéma
Le problème c'est aussi de montrer un personnage féminin malfaisant ou rien d'autre ! Or dans le cinéma, il est vraiment très difficile de trouver des rôles féminins inspirants. Positifs, non victimisés, actifs et ayant une influence sur le cours de l'histoire (et ne me parlez pas de Kill Bill)...
Je ne vais pas m'étendre sur ce sujet mais je vous invite à lire la BD du blog Commando Culotte (vous pouvez lire tout le blog aussi d'ailleurs) sur la représentation des femmes dans la fiction.
Pour conclure, dans un monde parfait, où le sexisme n'existerait pas et où le féminisme aurait disparu depuis longtemps faute de combat à mener, hommes et femmes seraient représentés à l'écran (mais aussi dans les livres, à la TV, dans l'art, les fictions ou la réalité) comme ils le sont dans la vie. Actifs ou non, fort ou faible, leader ou suiveur, à la maison ou à l'extérieur et ce quel que soit leur sexe. Mais lorsqu'on se pose la question de la représentation féminine au cinéma (et être féministe et cinéphile croyez-moi ce n'est pas facile-facile tous les jours, il faut souvent mettre l'un sous le tapis pour apprécier l'autre...), on réalise que c'est très loin d'être le cas.
Enfin, prétendre que le cinéma n'est qu'un divertissement et n'a aucune portée politique ou polémique et qu'il ne distille aucun message, qu'il faut voir Gone Girl comme un thriller et rien d'autre, c'est sacrément sous-estimer le rôle de l'art dans la société et faire preuve d'un déni assez spectaculaire. Car à mes yeux le cinéma, tout divertissant soit-il, est bien un art qui donne à voir la vision du monde de son réalisateur (ou au moins de ses producteurs, ce qui donne un art pourri mais un art quand même). Et surtout, le cinéma, définitivement, est politique et reflète la société dans lequel le film a été conçu. C'est en cela qu'il est passionnant.
★★☆☆☆
Sans le parti-pris sur le thème, le film visait ★★★★☆
Gone Girl, David Fincher (sortie le 8 octobre 2014)
Avec Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris, Tyler Perry - USA - 2h25
Synopsis
Amy et Nick forment en apparence un couple modèle. Victimes de la crise,
ils quittent Manhattan pour retourner s’installer dans la ville du
Missouri où Nick a grandi. Mais le jour de leur 5ème anniversaire de
mariage, Amy disparaît et Nick retrouve leur maison saccagée. Lors de
l’enquête tout semble accuser Nick. Celui-ci décide, de son côté, de
tout faire pour savoir ce qui est arrivé à Amy et découvre qu’elle lui
dissimulait beaucoup de choses