Whiplash, Damien Chazelle (2014)


J'ai enfin vu Whiplash.
J'ai hésité longtemps car il ne s'agissait pas d'un film de Jazz, comme je l'avais tout d'abord pensé, ce qui m'aurait attirée dans la salle bien plus tôt, mais d'un film de combat plus proche du film de guerre, où la violence et le crâne chauve du prof ne sont pas sans rappeler l'instructeur de Full Metal Jacket. Or l'affrontement entre un prof et son élève afin de déconstruire ce dernier pour lui permettre d'apprendre et se dépasser est un concept qui ne m'a jamais convaincue et à la question "faut-il tout sacrifier et souffrir pour atteindre l'excellence (musicale, sportive ou que sais-je) ?", ma réponse est clairement : non. Tous les génies ne sont pas torturés et vice-versa.

Partant de ce constat, je me demandais ce que j'allais bien pouvoir trouver dans Whiplash, puisque l'euphorie de la lutte créative allait certainement me passer au-dessus ?

Et bien finalement pas mal de choses (même si l'euphorie de la lutte créative m'est effectivement passée au-dessus) ! Pas mal de choses, dont en premier lieu la formidable cinématographie du film, très visuel et aux qualités indéniables. Les champs/contrechamps, planifiés au cordeau et rythmés comme un duo de batterie, les duels entre Flescher et Andrew, chorégraphiés comme des scènes épiques de bataille, la musique, en sourdine mais omniprésente et surtout le charisme incroyable de JK Simmons. La scène finale, enfin, est une véritable apothéose musicale et émotionnelle après laquelle il est difficile de réprimer l'irrésistible envie d'applaudir à tout rompre. Dans une liste des meilleurs moments de cinéma, cette scène figurerait en bonne place !

Malgré tout ça, beaucoup de choses m'ont toutefois dérangée dans ce film qui passe à mon sens à côté de son sujet et manque un bon nombre d'occasion de faire la différence.

Au niveau scénaristique d'abord, c'est plat. Si-si. Malgré les envolées brutales des relations entre les deux protagonistes, un seul ressort dramatique tient tout le film. Et 1h45 mine de rien c'est long. La relation entre professeur et élève est donc surlignée et répète les même ressorts à plusieurs reprises. Les rapports de force établis, il aurait été intéressant au contraire d'ouvrir le film sur la quête de soi au lieu de se focaliser sur le dépassement physique et la violence, comme si tout le nécessaire était déjà acquis par Andrew et qu'il ne devait qu'apprendre à l'exploiter.

D'un autre côté, parler de musique sous l'angle exclusif d'un duel maître/élève, même si ça fait apparemment écho au vécu du réalisateur, ne fonctionne pas. Ce besoin de viriliser à l'extrême un milieu qui échappe justement souvent aux stéréotypes masculins, ça confine à la caricature et Whiplash finit par tomber dedans. A en croire Chazelle, l'excellence pour un batteur de jazz tient, en plus du tempo, à la vitesse et à la vigueur des coups qu'il assène sur sa batterie. Pas de nuance, pas d'alternative. De la virilité pure (salive, sueur et sang comme marqueurs visuels d'un film musical, oui on a compris, c'est une histoire d'homme).

D'ailleurs justement, il n'y a bizarrement aucune place pour les femmes dans le casting. A part le rôle de petite amie boulet et l'avocate, aucun autre personnage féminin n'a de dialogue. La musique n'est pourtant pas connue pour être une histoire d'hommes. Ah oui mais j'oubliais, le sujet du film n'est pas la musique, mais la quête de l'excellence...
Dans le même registre, il me semble étonnant, pour un film qui évolue dans le monde du jazz, de n'avoir aucun personnage noir (un seul a des lignes de dialogues : le professeur mou dont tout le monde rêve de quitter la classe)...

Malgré toutes ces réserves, que l'on pourrait mettre sur le compte de la jeunesse du réalisateur (c'est son 3e film), qui dans sa volonté de raconter +/- son histoire personnelle a oublié d'ouvrir son film sur quelque chose de plus grand que lui-même, Whiplash est un film unique en son genre qui réussit son objectif. Un film puissant et fougueux qui restera dans les annales et les esprits.

★★★☆☆

Whiplash, Damien Chazelle (sortie le 24 décembre 2014)
Avec Miles Teller, J.K. Simmons, Paul Reiser - USA - 1h47

Synopsis
Andrew, 19 ans, rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Mais la concurrence est rude au conservatoire de Manhattan où il s’entraîne avec acharnement. Il a pour objectif d’intégrer le fleuron des orchestres dirigé par Terence Fletcher, professeur féroce et intraitable. Lorsque celui-ci le repère enfin, Andrew se lance, sous sa direction, dans la quête de l’excellence...

Une cinéphile

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