Des petits bouts d'éternité

J'ai découvert Les Petites Fugues, grand classique du cinéma suisse sorti en 1979 mais dont je n'avais jamais entendu parler, dans une salle comble lors de la projection annuelle du Film surprise des Cinémas Star à Strasbourg. Comme quoi, aller au cinéma les yeux fermés (façon de parler) peut réserver de belles surprises !

Les petites fugues est un film délicieux qui se déguste comme un chocolat (il n'est pas suisse pour rien !) : en le laissant fondre plutôt qu'en le croquant goulument.

Son rythme est lent. Contemplatif presque. Mais pour peu qu'on laisse au film le temps de s'installer, il finira par happer le spectateur tant ce qu'il raconte est riche ! Yves Yersin, en plus d'être parfaitement adorable (oui il était présent à la projection ! ♥), calcule ses plans pour mettre en lumière ses personnages, leurs luttes, leurs déceptions et leurs espoirs.

Centré sur Pipe, un ouvrier agricole vieillissant, incarné par un Michel Robin formidable, qui avec l'acquisition tardive de son premier vélomoteur fait l'expérience de la liberté, le film s'intéresse en parallèle à bien plus que l'émancipation d'un vieil homme.

Chacun des personnages a sa trame narrative et sa problématique, mais chacun se retrouve dans une lutte entre le patriarcat (incarné par le père, qui résiste pour conserver ses méthodes, status quo qui le place en position dominante) et le peuple, que ce soit la jeunesse toute entière (avec le fils et son appétit pour la modernité) ou les femmes plus particulièrement (avec la fille, mère célibataire qui rêve d'indépendance) ou encore la classe ouvrière (avec Pipe, l'ouvrier qui se rebiffe et décide que vivre sa vie est plus important que se dédier corps et âme dans son travail).

Les petites fugues décrites dans le titre sont autant de moments joyeux dans lesquels Pipe, le héros maladroit du film, s'ouvre à la vie qu'il semble n'avoir jusque là côtoyée que de loin. Il expérimente alors la liberté jusqu'à l'ivresse. Jusqu'à la gueule de bois. Avant de réaliser bien contre son gré que la fuite ne mène à rien si elle n'est que cela et non une construction. C'est alors avec un appareil photo, trophée de sa liberté nouvellement gagnée, qu'il va finalement réussir à se construire et échapper à la morosité et la routine de son quotidien.

Marqué par plusieurs scènes absolument inoubliables telles que l'apprentissage du vélomoteur par un Pipe aussi gauche qu'un enfant ou l'envol symbolique au-dessus de la campagne vaudoise, Les Petites Fugues s'installera durablement dans le coeur du spectateur !

Découvrir un classique le regard neuf pour la première fois, plus de 35 ans après sa sortie est un moment rare qui se savoure, et ce film est de ceux-là ! Il ressort brièvement en salle en ce début d'année. S'il passe chez vous, foncez !

★★★★★

[Le Film Surprise des Cinémas star, c'est chaque année en janvier, tentez l'expérience !!]

Les Petites Fugues, Yves Yersin (sortie le 12 septembre 1979 - re-sortie à Strasbourg le 28 janvier 2015)

Avec Michel Robin, Fred Personne, Mista Préchac - Suisse - 2h11

Synopsis

Pipe, valet de ferme depuis trente ans, décide de s'acheter un vélomoteur. Ses appréciables allocations d'assurance vieillesse lui permettent désormais de penser aux vacances. Après l'avoir admiré, choyé, bichonné, il apprend, grâce aux conseils avisés de Luigi, un employé saisonnier, les premiers rudiments de la conduite. Dès lors, Pipe part à la découverte du vaste monde. Il gravit des sommets et s'émerveille devant la beauté des paysages alpins. Malheureusement, Pipe provoque un accident et se voit retirer son vélomoteur. Devenu dépressif, il ne soigne son mal qu'en recourant à un autre objet magique, un appareil photo qu'il a gagné lors d'un concours...