Julieta, Pedro Almodovar (2016)


Après son incartade pop-sociale un peu surprenante avec Les Amants Passagers, Almodovar revient à ses amours de toujours (les femmes) et présente à Cannes l'un de ces drames magnifiques dont il a le secret. Sorte de thriller psychologico-familial, Julieta est une nouvelle variation autour des obsessions du réalisateur. Mère. Femme. Culpabilité. Abandon. Regrets. Sacrifice.

Avec un sens du romanesque parfaitement maîtrisé, Almodovar parvient une fois encore à sublimer la douleur. Son film explose de couleurs, vives, chatoyantes, joyeuses, qui contrastent avec la noirceur qui ronge l'âme de son héroïne. Pétrie de culpabilité, elle avait réussi à vivre malgré tout, mais replonge dans son passé lorsque le destin resurgit au détour d'une rue. Le mystère est en place et ne se dévoilera que petit à petit.

La narration, habilement découpée en flashbacks, renforce cette impression de tragédie grecque où le héros marche sans en avoir conscience vers un destin que l'on sait inéluctable. Le cheminement se fait ici à rebours et tient le spectateur suspendu aux lèvres d'Emma Suarez, voix off désenchantée qui se raconte dans une lettre dont on ne saura jamais si elle a trouvé sa destinataire. Cette façon de jongler entre passé et présent dans un tourbillon de souvenirs donne une impression d'impuissance presque angoissante.

Le film est ponctué de scènes emblématiques comme autant de point d'ancrages qui marqueront le spectateur comme elles ont marqué leur héroïne ; on se souviendra longtemps de cette scène du train, confusion sublime des sentiments mêlant l'amour à la mort dans un tourbillon de culpabilité. Le film est, comme ses prédécesseurs, d'une beauté rare, et se révèle dans une douceur implacable qui tranche avec la cruauté des sentiments qu'il dépeint.

Et si l'on n'est pas vraiment au niveau des oeuvres les plus remarquables du réalisateur, ce n'est qu'à cause de petits grains de sables, imperceptibles défauts qui gênent le spectateur devenu exigeant. Certains effets de narration sont un peu appuyés et manquent parfois de subtilité ; quant au mystère, il est probablement entretenu de façon un peu trop mélodramatique pour un dénouement qu'on imaginait un peu plus complexe.
Du côté des interprètes, si Emma Juarez est éblouissante, Adriana Ugarte qui incarne Julieta jeune, manque peut-être un peu d'envergure pour développer vraiment toutes les subtilités de son personnage.

Le dernier né d'Almodovar, même s'il manque peut-être un peu de puissance, est néanmoins un film fascinant dont la tristesse infinie ne plombe jamais le spectateur, comme une ode à la vie et à l'espoir. Poésie magnifique et ensorcelante, c'est assurément l'un des très bons films de ce début 2016.

★★★☆☆

Julieta, Pedro Almodovar (sortie le 18 mai 2016)
Avec Emma Suárez, Adriana Ugarte, Daniel Grao - Espagne - 1h39

Synopsis
Julieta s’apprête à quitter Madrid définitivement lorsqu’une rencontre fortuite avec une amie d’enfance de sa fille lui apprend qu’elle l'a croisée une semaine plus tôt. Julieta se met alors à nourrir l’espoir de retrouvailles avec sa fille qu’elle n’a pas vu depuis des années. Elle décide de rester à Madrid et de lui écrire tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours.

Une cinéphile

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